LPM : de la mauvaise gestion du Programme TIGRE

Voilà un article que j’avais en tête depuis quelques années…

Le tableau que je vais dresser est assez simple et naturel :
Comment, au fil des récentes évolutions #LPM de dimensionnement du Programme #Tigre, cela a-t-il été facteur de surcoûts, de gaspillages et d’occasions manquées.

Partie 1 : le Factuel

PLF HAP HAD HAP->D Coût (M€) Evolution (M€) Evol. Moy. (M€)
2013 40 40   6 300    
2015 40 24 40 6 588 +288 12.0
2017 40 31 (24+7) 40 6 970 +382 54.5

(Source : rapports du Sénat sur les PLF)

Ces chiffres sont techniquement inconsistants :
Chaque chiffrage de PLF est recalculé aux conditions monétaires de l’année précédente [cf. indice de valeur ; inflation].
De fait, X € de 2010 à la PLF de 2013 aura une valeur différente de X à la PLF de 2015.
Ainsi, il est techniquement faux de comparer des chiffrages de 2 PLF.
Néanmoins, cela représente sur l’amplitude de cette analyse une inflation cumulée de 1.6%. Bien que cela puisse jouer à la marge, l’impact est trop faible pour influencer les conclusions.

Sachez par ailleurs que je ne discuterai en aucun cas la pertinence de 71 Tigre, ni même de 64 : ce n'est pas l'objet de cet article, et j'ai déjà pu exprimer ma position, considérant un tel parc comme suffisant :
Personnellement, j'avais, à la période du 'German Cut' estimé le besoin français, de mémoire, à quelques 75 appareils, dont 40 HAP [qui représente le gros des missions, ne l'oublions pas] et quelques cocons [de mémoire, 5].
Le passage à une flotte unique permet d'optimiser la gestion de flotte et en particulier de déploiement en Opex. Par rapport à mon calcul de l'époque, en ramenant à une flotte unique, on serait aux alentours de 65-68 (dont des cocons).

Comparaison entre les années de la relation Coût \ nb de Tigre


Comparaison relative


Comparaison relative synthétique

Comme on peut le voir, 2015 a engagé une forte réduction de la flotte, sans pour autant réduire les coûts. Cataclysme que 2017 a plutôt bien rattrapé, avec un coût / machine additionnelle inférieur au coût / machine de 2013 (le point 2017 est en-dessous de la radiale 2013 passant par le point 2015).

Maintenant nous allons observer cela de manière un peu plus relative par rapport à la situation 2013, que l’on considèrera comme le point le référence :

Evolution du coût par Appareil

Si nous confrontons maintenant les valeurs Nombre d’Appareil, Coût et Coût / Appareil, on obtient les graphiques suivants :

Evaluation des situations par une mise en regard des données

Conclusion :

  • La LPM à 64 a coûté cher :
    • On peut le voir sur le 1er graph avec le coût moyen / appareil qui passe de 100% à 131%
    • Ou, avec le 2e graph, au travers du déséquilibre de la balance Coût <-> HC en défaveur du nombre de HC.

    2 raisons à ce surcoût :

    • Surcoûts fixes : la réduction du nombre d’appareils qui, forcément, reventile des frais fixes sur moins d’appareils, sans parler des pénalités liées à cette réduction de dotation
    • Surcoûts variables : Le Rétrofit des #HAP en HAD, qui génère un coût supplémentaire pour chaque HAP, sans apporter des appareils supplémentaires.
    •  

  • Les 7 appareils additionnels ont eu un impact bénéfique non négligeable dans le rééquilibrage.
    En d’autres termes, ils ont été souscrits à un bon prix.
     
  • L’évolution en bref :
    • -9 Appareils (de 80 à 71)
    • 40 HAP convertis en HADF

Autres conséquences :

Mais ce ne sont pas là les seules conséquences :
Avec le rétrofit des HAP en #HADF, cela va entrainer nécessairement de longues immobilisations de matériels, avec comme impact une baisse significative de la disponibilité de flotte.

 

Un scénario alternatif aurait pourtant été possible :

 

Partie 2 : l’Alternative

  • Conserver la commande de 40 HADF
  • Et ne convertir qu’une partie des HAP, quitte à en ferrailler d’autres et/ou s’en servir de spares pour les équipements communs et/ou les mettre « sous cocon »

D’après les valeurs connues des 3 situations de 2013, 2015 et 2017, j’ai estimé les valeurs suivantes :

Coût (M€) Unitaire Complet
Fixes   2 278
HAP 45.97 1 839
40 HADF 54.57 2 183
HAP -> HADF 29.03 1 161

Dans l’hypothèse du scénario à 71 appareils, dont 40 HADF neufs et 31 Retrofit (au lieu de 31 + 40), on obtient donc (théoriquement et grosso-modo) :

Scen 71 Coûts Fixes HAP HADF HADF
Qté   40 40 31
Coût (M€) 2 278 1 839 2 183 900

On a un coût global de 7200 M€, soit 230 M€ de plus que l’option LPM.

Comparaison du ‘Scénario 71’ (40 HADF + 31 Rétrofit) vs. LPM (31 HADF + 40 Rétrofit)

Ce scénario présente un surcoût à l’achat de 3%.

… Oui, mais :
Pour ces 3% on a :

  • 9 machines neuves en lieu et place de Retrofit de machines qui ont une 10-aine d’années
    (Rappelons que la durée optimale d’un hélicoptère est de 30 à 40 ans… Donc déjà âgées de 25% à 33%)
  • 9 HAP pouvant servir de spares, d’entrainement pour la maintenance au sol…
  • 9 HADF livrés neufs et 9 appareils de moins à rétrofitter, donc une meilleure disponibilité opérationnelle offerte
    Et une gestion de transition d’autant facilitée.
  • 9 machines neuves au lieu de Retrofit des 1er HAP qui ont déjà subit par ailleurs un parachèvement, donc une simplification de la gestion de maintenance
  • L’éventualité de stopper le parachèvement (alors encore en cours) des HAP au Standard 1, avec potentiellement une économie de coûts

… Bref, 3% qui ne semblent pas cher payés !

 

Mais alors, pourquoi ce scénario n’a-t-il pas été envisagé, du moins retenu !?

 

Partie 3 : l’autre conséquence de la LPM 2015

Avant l’option à 71, le Programme Tigre est d’abord passé par une étape à 64.
Il faut donc également, et en fait préalablement, étudier le scénario à l’hypothèse de 64 appareils, soit 40 + 24 :

Scen 64 Coûts Fixes HAP HADF HADF
Qté   40 40 24
Coût (M€) 2 278 1 839 2 183 697

Soit un coût global de 6997 M€ (409 M€ de plus que l’option LPM de 2015, soit +6%).

Comparaison du ‘Scénario 64’ (40 HADF + 24 Rétrofit) vs. LPM 2015 (24 HADF + 40 Rétrofit)

  • 6%, au lieu de 3%, et 16 appareils HAP au rencart, la donne n’est plus tout à fait la même.
  • Pire encore, cela donne un coût / appareil qui approche les 140% par rapport au coût 2013 de référence, quand l’option retenue en LPM est à 131%.
    C’est certainement cet écart de 139% vs. 131% qui a dissuadé ce scénario (sans doute sans même prendre en considérations les avantages évoqués plus haut dans l’étude du scénario 71).
  • Il est une autre raison sans doute :
    Une sombre question d’économies à court-terme :
    (et, comme j’ai pu le rappeler dans mes article de 2017 sur la LPM, ce genre d’économies à court-terme se traduit souvent comme un gaspillage à terminaison)

Si la quantité d’appareils est la même, l’étalement des coûts ne l’est pas :

  • Un HADF coûte (d’après cette étude) 54.57 M€ l’unité, quant un rétrofit HAP en HADF est évalué à 29.03 M€
  • Chaque année, 5 à 6 Tigre neufs sont livrés ; soit globalement 3 ans de livraisons pour les 16 HADF d’écart.

Cela représente un écart de 25.54 M€ / appareil, 409 M€ au total comme évoqué ci-avant.
Et ces coûts sont jalonnés tout au long de l’appareil, et s’étalent avant les 3 seules années. Concrètement, ces 3 années étant à cheval sur 2018-2021, on peut considérer que les coûts (ou à l’inverse les économies directes de la LPM) auraient commencés dès 2015 ou 2016
Or, à cette LPM 2015, l’économie était de mise et, par ailleurs, ciblait les Reports de Charges comme en témoigne cet article de Laurent Laugneau en 2014.

En bref, une LPM 2015 bâclée, centrée sur le court-terme, au détriment (sinon au mépris) de son rôle premier de projection à moyen/long-terme (le court-terme étant au final piloté par les PLF), et qui a engendrée des gaspillages et des maux des années encore après son actualisation et pour bien des années encore… :

rendez-vous à l’horizon 2040-2045, quand les premiers Tigre auront leurs moustaches grisonnantes… Qui se souviendra alors qu’il aurait été possible de disposer à moindre surcoût de machines neuves et prolonger la durée d’emploi de quelques années sans que cela requière des coûts démesurées pour un moindre maintien ? Et se dira :

Mais que diable sont-ils allé faire avec cette LPM !?

 

Julien Maire

Spécialisé dans l'amélioration et la coordination industrielle, avec plus de 15 ans dans le secteur aéronautique & défense.

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