L’Espace : La « safe-zone » mise à mal
Récemment, face à la menace, la France a dévoilé sa nouvelle doctrine spatiale « offensive ».
Mais de quelle menace parle-t-on ?
« Terre » d’aubaine
Pendant longtemps, le domaine #spatial est resté hors d’atteinte de toute menace offensive.
Les armées ont profité de cette « safe zone » pour y déployer des équipements clés à leur succès mais vulnérables, permettant de concentrer les coûts sur les fonctions coeur de l’équipement tout en en simplifiant les complexités.
- GPS
- Imagerie, Cartographie, ISR (Intelligence [Renseignement], Surveillance & Reconnaissance)…
- Communication, Télécommunication, Ecoute, veille anti-Radars…
Au fil du temps et fort de cette safe-zone, les satellites sont devenus un panel d’outils incontournables dans toutes les étapes de la Défense : de la veille au guidage, en passant par l’identification et la communication.
« Terre » d’aubaine, elle est continuellement envisagée pour de nouvelles armes :
- Bouclier anti-missiles balistiques
- #satellite de frappe électromagnétique ou de laser à haute énergie
- Satellite de désignation (« JTAC »)
- Piratage, brouillage…
Mais la donne a brusquement changé :
La fin d’un monde…
Il était devenu inacceptable de laisser ces armes agir en toute impunité.
Et, ces dernières années, 3 menaces ont émergées :
- Les satellites parasites :
Des satellites anti-satellite (chargés d’espionner ou de brouiller un satellite) ont commencé à apparaitre, obligeant parfois à mettre en sommeil le satellite parasité afin de sauvegarder l’intégrité des données et des missions. - Le brouillage de signal :
En 2018, lors de l’exercice Trident Juncture, la Russie aurait profité de l’occasion pour jouer son rôle d’empêcheuse de tourner en rond et tester et valider une solution de brouillage de signal GPS, perturbant sévèrement l’exercice OTAN.
Au-delà du Retex russe, cela a permis de rappeler aux forces de l’OTAN leur dépendance absolue à un système (GPS) et les handicaps associés à la perte ou la perturbation du signal. - Les missiles « sol-espace » :
En 2007, la Chine détruisait un de ses satellites par le biais d’un #missile lancé depuis leur territoire.
Plus récemment (2018), l’Inde annonçait à son tour avoir détruit un satellite en orbite basse à partir d’un tir lancé depuis le sol.
Avec ces 3 menaces avérées, c’est tout le modèle de doctrines reposant sur des solutions satellites qui s’effondre, obligeant les forces ayant un tel modèle à le repenser…
Contre-attaquer
Avec sa nouvelle doctrine spatiale, la France lance (à son tour) sa contre-offensive.
Si les modes d’actions restent à préciser, il en est un à l’étude depuis plusieurs années qui assurément devrait être envisagée :
Face aux satellites hors d’usage et autres débris, diverses solutions de captation et/ou de détournement d’orbite sont actuellement en phases de développement ou de test.
Détournée de son application première, ce genre de solution pourrait présenter certains atouts face aux satellites présents en orbites plus hautes.
Un autre de ses atouts est le fait de ne pas disperser de débris et donc pas polluer l’espace dans lequel circulent vos propres satellites.
Mais au-delà de cet exemple pouvant constituer un 4e mode d’action anti-satellite, c’est bien tout un nouveau champ du possible qui s’ouvre…
… Un champ incluant également des actions offensives à partir des satellites, comme évoqué précédemment. Et un champ du possible contenant nécessairement des axes visant à protéger ses propres satellites contre les menaces possibles.
Un modèle stratégique à repenser
Mais ces menaces ne font en fait que mettre le doigt sur un abcès, et cette dépendance aux satellites, vulnérables, est un bloc de failles :
- Assurer les pleines protection et intégrité de ses satellites n’est pas viable :
- Elle ne l’est pas pour les satellites existants ;
- Quant à « armer » les prochains pour les rendre résistants aux menaces, cela supposerait une évolution de design (et de coûts) remettant en cause la pertinence de leur solution.
- Bien qu’offrant des atouts de part leur positionnement en hauteur, les solutions satellites ne sont pas exemptes de faiblesses :
- Ainsi, les communications par satellite offrent un débit de données plus faible que d’autres modes (radio multi-bandes…), ce qui rentre en conflit avec l’évolution exponentielle des volumes de données
- Moins de débit, ces modes sont aussi moins sécurisés, comme l’a démontré l’exercice Trident Juncture 2018.
- Certaines capacités opérationnelles sont entièrement dépendantes et même affiliées aux satellites, sans solution alternative, ou même redondance possible.
Ces limites dans un espace désormais menacé oblige de fait à repenser nombre d’aspects opérationnels.
Dans ce cadre, certaines solutions font ou refont surface depuis quelques années :
- Les constellations de micro-satellites :
Pesant quelques dizaines de kilogrammes, voire quelques kilogrammes, ces satellites au design simplifié permettent à la fois d’assurer de la redondance et aussi d’être plus difficile à contrecarrer (du fait du nombre et de la taille).
D’une durée de vie limitée, ils représentent un peu le rôle de « satellites jetables » ou à « durée déterminée ». - Les dirigeables et ballons stratosphériques :
Comme substitution ou redondance locale aux satellites.
Facilement déployables dans la durée pour un coût modeste, ils permettent d’apporter une réponse adaptée aux besoins, dans un espace-temps limité. - Les systèmes de navigation inertielle :
Délaissés au profit du GPS, ces systèmes (pouvant s’appuyer sur les étoiles, le champ magnétique, des systèmes gyro, ou désormais avec l’IA la reconnaissance de formes…) permettent selon les cas :- De connaitre sa position absolue (Astro-Inertial Navigation System), au même titre que le GPS
- Ou connaitre sa position relative à son point connu [typiquement : le point de départ], compte tenu des différents mouvements (vitesses, durées, accélérations) orchestrés tout au long du parcours
- Les transmissions radio multi-bandes :
Avec les nouvelles doctrines de théâtre en éco-système intra-connecté, le satellite n’est plus indispensable pour concentrer les données, celles-ci pouvant passer par des « répéteurs » locaux, tels que des dones SDT et/ou MALE.
De plus, le mode multi-bandes offre un niveau de sécurité très élevé tout en permettant un débit de données plus conséquent. - Les aéronefs ISR :
Par pilote embarqué ou télécommandés (drones), ces aéronefs jouent un rôle de plus en plus important.
Ainsi, les drones MALE ISR sont devenus incontournables et réalisent de plus en plus de la mission continue, comme lorsque des otages français en Afrique ont pu être repérés par un drone US en mission routinière. Malheureusement, ils sont eux aussi de plus en plus menacés.
Pour leur part, les avions-espions #U2 reviennent sur le devant de la scène médiatique, signe du retour en grâce de ce vecteur ISR, face à drones MALE et des satellites tous deux avec des vulnérabilités de plus en plus exposées.
Enfin, #LockheedMartin a dévoilé il y a quelques années un programme TR-X visant à remplacer les actuels U2, par des drones Haute Altitude, tandis que #NorthropGrumman travaillerait sur le #RQ180.
C’est tout un modèle stratégique qui est en train de tomber de son orbite.
De l’autre côté, les solutions de drones tactiques MALE se révèlent eux aussi plus vulnérables que prévus.
… Entre les 2, la couche stratosphérique, où évoluent déjà les U2 et où pourraient se glisser les ballons, ainsi que les missiles hypersoniques, semble constituer aujourd’hui le nouveau domaine aérien à investir pour maintenir sa suprématie… et dont le projet #SCAF se devra de prendre en considération…
Julien Maire